Rappel à soi

Je suivais un jour la Liteyny dans la direction de la perspective Nevsky et, en dépit de tous mes efforts, j’étais incapable de maintenir mon attention  sur le « rappel de moi-même ». Le bruit, le mouvement, tout me distrayait. A chaque instant, je perdais le fil de mon attention, le retrouvais et le reperdais.

[…]

Alors me rendant compte qu’il m’était plus facile, dans les rues tranquilles, de ne pas perdre la ligne de ma pensée [..], je décidais de regagner la Nevsky en continuant de me rappeler à moi-même. Je l’atteignis sans avoir cessé de me rappeler moi-même, et je commençais déjà à éprouver l’étrange état émotionnel de paix intérieure et de confiance qui suit de grands efforts de cet ordre.

Juste au coin de la Nevsky, il y avait le magasin qui me fournissait en cigarettes. Continuant de me rappeler a moi-même, je me dis que j’allais entrer et en commander quelques boites.

Deux heures plus tard, je me réveillais […] fort loin.[…] Je peux presque dire que je revenais à moi. Je me souvins aussitôt de tout : […] comment je m’étais rappelé à moi-même, comment j’avais pensé aux cigarettes et de quelle façon à cette pensée, j’étais tombé comme anéanti, dans un profond sommeil.

Néanmoins, tandis que j’étais ainsi englouti dans le sommeil, j’avais continué à exécuter des actions cohérentes et opportunes.

Ouspensky
in Fragment d’un enseignement inconnu

Les raisons de cela :

Vous vous oubliez toujours, vous ne vous souvenez jamais de vous-même. En vous, « ça observe », ou bien « ça parle », « ça pense », « ça rit » ; vous ne sentez pas : « c’est moi qui observe, j’observe, je remarque, je vois ».

Tout se remarque tout seul, se voit seul… Pour arriver à vraiment s’observer, il faut tout d’abord se rappeler soi-même.

[…]

Si vous demandez à quelqu’un s’il peut se rappeler lui-même, il vous répondra naturellement qu’il le peut. Si vous lui dites qu’il ne peut pas se rappeler lui-même, ou bien il se fâchera, ou bien il pensera que vous êtes fou. Toute la vie est basée la-dessus, toute l’existence humaine, tout l’aveuglement humain. Si un homme sait réellement qu’il ne peut pas se rappeler lui-même, il est déjà proche d’une compréhension de son être.

Ouspensky
in Fragment d’un enseignement inconnu

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